par Howard Zinn, tiré du catalogue 2015 des éditions Agone.

Dans ce monde effroyable où les efforts des gens altruistes apparaissent souvent ridicules en comparaison des méfaits des puissants, comment se fait-il que je continue à m’engager et à avoir l’air heureux ?

J’ai absolument confiance dans le fait, non pas que le monde va s’améliorer, mais qu’il ne faut pas abandonner la partie avant d’avoir joué toutes ses cartes. La métaphore est intentionnelle : la vie est un jeu de hasard. Ne pas jouer, c’est renoncer à toutes ses chances de gagner. Jouer, agir, c’est se donner au moins une chance de changer le monde.

On a tendance à penser que ce qu’on a devant les yeux est voué à perdurer. C’est oublier qu’on a souvent été surpris par le soudain effondrement d’institutions, par des changements de mentalité fulgurants, par des soulèvements inopinés contres des tyrannies, par le brusque anéantissement de systèmes de pouvoir qui semblaient invincibles.

On ne devrait jamais abandonner la lutte pour la justice à cause de la puissance apparemment indéfectible de ceux qui détiennent les armes et l'argent -et qui semblent bien déterminés à les garder. Cette puissance apparente s'est maintes fois révélée vulnérable à des qualités humaines moins tangibles que les bombes et les dollars: ferveur morale, détermination, unité, organisation, sacrifice, esprit, ingénuité, courage, patience…

J'ai bien essayé de regarder le monde avec autant de pessimisme que mes amis (et pas seulement eux !), mais je ne cesse de rencontrer des gens qui, malgré tous les évènements atroces qui se déroulent un peu partout, me donnent de l'espoir. Partout où je vais, je rencontre de telles personnes. Et au-delà du noyau dur de militants il semble y avoir des centaines, des milliers de gens ouverts à des idées différentes. Mais souvent, ils ignorent qu'ils ne sont pas seuls, de sorte que, quand ils persistent, c'est avec la patience désespérée de Sisyphe poussant éternellement son rocher en haut de la montagne. J'essaie de dire à chaque groupe qu'il n'est pas seul, et que ceux qui se sentent abattus par l'absence d'un véritable mouvement national sont eux-mêmes la preuve qu'un tel mouvement est possible.

Le changement révolutionnaire n’est pas un surgissement cataclysmique mais une succession interminables de surprises cheminant en zig-zag vers une société plus décente. Il n’est pas nécessaire de mener des actions grandioses et héroïques pour participer au processus de changement. Des actions modestes, multipliées par des millions d’individus, peuvent changer le monde. Même quand nous ne «gagnons» pas, il y a le plaisir et la satisfaction d'avoir participé, avec d'autres gens de bien, à quelque chose de valable. Nous avons besoin d'espoir.

Un optimiste n'est pas nécessairement un joyeux drille sifflotant bêtement au milieu du chaos. Garder l'espoir quand ça va mal n'est pas faire preuve de romantisme aveugle. C'est miser sur le fait que l'histoire humaine est l'histoire, non seulement de la cruauté, mais aussi de la compassion, du sacrifice, du courage, de la bonté.

Ce que nous choisissons de faire ressortir de cette histoire complexe va décider de nos vies. Ne voir que le pire, c'est détruire notre capacité à faire quoi que ce soit. se rappeler ces moments -et il y en a tant- où les gens se sont comportés de façon magnifique, voilà qui nous donne l'énergie pour agir, et pour au moins essayer de faire tourbillonner ce monde dans une direction un peu différente.

Dans la mesure où nous agisson, même en faisant des choses minuscules, nous n’avons plus à attendre la grande utopie à venir. L’avenir est une succession infinie de présents, et vivre maintenant comme devraient vivre les êtres humains, au mépris de ce qu’il y a d’hostile autour de nous, est en soi une victoire merveilleuse.

Howard Zinn

(extrait de "the Optimism of Uncertainty", The Nation, 20/10/2014, with the permission of the Estate of Howard Zinn.)


Article paru dans le Canard Enchaîné du 30 décembre 2014.

Par "Pr C."

Maître d'œuvre du barrage de Sivens, la Compagnie d'aménagement des coteaux de Gascogne a un joyeux catalogue.

Le fiasco du barrage de Sivens n'arrête pas la CACG. La Compagnie d'aménagement des coteaux de Gascogne peut bien traîner une réputation de bâtisseur de barrages à problèmes, celui de Sivens n'est ni le premier ni le dernier. Depuis sa création, en 1959, à Tarbes (Hautes-Pyrénées), cette société d'économie mixte de 200 personnes a construit une centaine de barrages dans tout le Sud-Ouest, essentiellement pour abreuver les cultures de maïs de ses 10 000 clients agriculteurs. Et, rien qu'en Midi-Pyrénées, elle a au moins dix projets de barrage… «Notre métier, c'est la gestion de l'eau. Attention, on ne la vend pas que pour l'irrigation, même si c'est vrai que l'irrigation, pour nous, c'est quand même important», explique André Romana, délégué syndical CGT, lequel a accepté de répondre au «Canard», contrairement à sa direction qui, très professionnellement, fait barrage… Fort lucrative, en effet, l'irrigation ! Une fois le barrage terminé, la Compagnie signe avec les agriculteurs des contrats par lesquels ils s'engagent à lui acheter son eau pendant une ou plusieurs années. Elle leur vend aussi tout le matos nécessaire: compteurs d'eau, stations de pompage, conduites, systèmes d'arrosage, avec les logiciels pour les contrôler à distance, etc. Pas donné: comptez 2640euros par hectare pour un système d'arrosage aérien…

1 Sans appel d'offres

Dans le Gers, la Compagnie se réjouit de la fin des travaux de construction du barrage de la Barne (1 million de mètres cubes, soit les deux tiers de Sivens), qui a pompé 2.7 millions d'euros d'argent public, mais les écolos promettent des jours moins fastes. «Pour la Barne, on n'a pas été entendus, râle Sylviane Baudois, secrétaire de l'association Bien vivre dans le Gers. On veut aussi demander à l'État de revoir tout le processus décisionnaire de ces ouvrages et d'en finir avec les conflits d'intérêts.» Comme dans le Tarn, on retrouve en effet dans le Gers le bon vieux mélange des genres qui fait le charme de la CACG: après avoir mené des études justifiant l'édification de ce réservoir, elle a empoché le marché de sa construction sans répondre au moindre appel d'offres. Le président de la CACG, Francis Daguzan, est par ailleurs vice-président du conseil général du Gers, ce qui facilite les affaires. Quant au vice-président de la Compagnie, Henri-Bernard Cartier, c'est lui qui préside la chambre d'agriculteurs du Gers. Ça facilite aussi. Dans les Hautes-Pyrénées, la Compagnie s'apprête à faire passer en force le barrage de l'Ousse, un gros réservoir de 5 millions de mètres cubes (plus de trois fois Sivens), qui va siphonner 12,5 millions d'euros, toujours d'argent public. Un projet vieux de 20 ans «abandonné une première fois en 1999, à la suite d'une note du Conseil d'État, qui a épinglé le fait que la CACG soit maître d'œuvre et gestionnaire de ce barrage», se souvient Michel Geoffre, responsable de France Nature Environnement 65. Sauf que, depuis 2008, le projet est remonté à la surface. «Tous ceux qui sont impacés par ce barrage sont vent debout, tempête Yannick Boubée, maire PS d'Aureilhan. Conseillers municipaux, populations de deux villages, et même le député et conseiller général Jean Glavany, personne n'en veut.» En effet, si ce barrage voit le jour, adieu, veaux, vaches, moutons et cochons élevés ici par une vingtaine d'agriculteurs, et adieu aux 100 hectares de terres cultivées qui se retrouveront sous l'eau. Pour bloquer le projet, tous ces grincheux sont en train de monter une zone agricole protégée, qu'ils veulent faire reconnaître d'utilité publique. La CACG pourra toujours se consoler avec les deux autres projets dans ce département, celui le Louet 2 et de la Géline, 5 millions de mètres cubes chacun… Dans le Tarn, en revanche, elle a quelques problèmes de service après-vente. Le barrage de Fourogues est carrément illégal car, en 1997, la CACG c'est assise sur les décisions de justice qui lui demandaient d'arrêter les travaux. En plus, il est déficitaire et mal conçu. «Les désordres affectant le système d'évacuation des crues sont tels que l'ouvrage ne paraît pas remplir les conditions de sûreté suffisantes», s'énervait la préfecture du Tarn, le 11 août. Aujourd'hui, le système d'évacuation des crues, sorte de canal qui court aux abords du barrage, ne tient bon que grâce à une vingtaine d'étais de maçon…

2 «Une roche pleine de trous»

En Ariège, le réservoir du col del Four (330 000 m³) n'a pas ce genre de problème. L'ouvrage, qui a englouti 1,7 million d'euros d'argent public, ne retient pas, douze ans après sa construction, la moindre goutte d'eau ! Pour édifier la digue en terre de 10 mètre de hauteur qui surplombe ce qui devrait être une retenue de 270 mètres de longueur, il avait fallu détruire une zone humide. Une fois le terrain décapé, son remplissage devait couler de source, grâce aux ruisseaux des alentours, à l'eau de pluie et à celle de la fonte des neiges. Seulement voilà, «quand ils ont fait les travaux, ils sont tombés sur un karst calcaire, autrement dit une roche pleine de trous comme du gruyère qui ne retient pas l'eau et qui ne la retiendra jamais», explique Henri Delrieu, porte-parole de l'association Le Chabot, pour la protection des rivières ariégeoises. Mais, là encore, ce genre de succès n'a pas barré la route aux rois du barrage.


Ranger est un navigateur de fichiers pour le terminal, fortement inspiré de vim pour ce qui est de la navigation, et il est hyper pratique.

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J'aime beaucoup:

  • sa navigation avec 3 panneaux:
    • au centre le dossier courant, où est le curseur,
    • à droite un aperçu du dossier ou du fichier sélectionné,
    • et à gauche l'arborescence du dossier parent.

L'aperçu est essentiel. Il montre le contenu d'un fichier source avec la coloration syntaxique, il montre le texte des pdf et de quelques fichiers de bureautique (LibreOffice) et les méta données des fichiers multimédias. On peut même avoir un aperçu des photos dans le terminal (et normalement bientôt des vidéos). Ainsi grâce à l'aperçu on peut trouver très rapidement ce que l'on cherche, et il nous évite souvent de devoir ouvrir un fichier avec un logiciel externe.

La navigation est très similaire à vim:

  • d'abord, on se déplace dans l'arborescence avec les quatre flèches du clavier, ou bien avec les touches h, j, k et l,
  • l'aide est à ?,
  • on se déplace aussi avec gg et G (aller en haut/au fond),
  • S (s majuscule) ouvre un shell dans le répertoire courant,
  • p ouvre un petit menu pour différentes manières de copier le fichier (paste), y pour coller (yank), d pour couper (comme Ctrl-x),
  • on peut trier les fichiers à partir de o plus la méthode choisie,
  • on peut ouvrir des onglets avec gn et naviguer d'onglets avec gt (suivant) et gT,
  • on peut créer des marques pages avec mx où x est une lettre qui servira de marque page et naviguer avec ='x= (apostrophe),
  • on peut invoquer une commande shell à partir de :, où un cd proposera les marque pages,
  • évidemment chercher dans le répertoire courant avec /, ou naviguer plus rapidement avec f qui lance un find,
  • et bien plus que vous verrez dans la page d'aide, avec ?.

Ranger est développé (en python :) ) sur github: https://github.com/hut/ranger et il habite à http://ranger.nongnu.org/

Pour l'installer: il est présent dans les dépôts. Donc sur Debian et consoeurs:

sudo apt-get install ranger

Voyez sur la première page du site les dépendances optionnelles. Voici la liste néanmoins:

sudo apt-get install caca-utils atool w3m w3m-img highlight mediainfo

À la première utilisation, lancez-le avec l'option suivante:

ranger --copy-config

afin de copier les fichiers de configuration dans ~/.config/ranger, que vous irez consulter pour vous les cuisiner aux petits oignons. On peut y choisir nos exécutables pour telles extensions de fichiers, etc.

Vous ajouterez peut être la gestion de l'aperçu des images. Il vous faut alors w3m (navigateur web pour le terminal):

sudo apt-get install w3m

et ensuite activer l'option en ajoutant la ligne suivante dans le fichier de conf ~/.config/ranger/rc.conf:

set preview_images true

mais sachez que cela ne fonctionne pas avec tous les terminaux. Avec gnome-terminal cela dépend, moi je n'ai pas réussi, avec urxvt et xterm c'est bon, et puis ça fonctionne avec tmux aussi mais pas avec screen.

Et voilà. Vous êtes heureux-se ? Moi aussi. Mais ce n'est pas tout. De temps en temps, je veux ouvrir un navigateur de fichiers dans le répertoire qui n'est pas le courant. Sans faire de cd. Ma solution savoureuse est de demander à Fasd de nous ouvrir Ranger. Fasd mérite un article à lui tout seul, courez le voir (vite !) si vous ne le connaissez pas, c'est un outil similaire à autojump ou j ou z pour sauter d'un répertoire à un autre. Nous, définissons un nouveau raccourci:

alias r="fasd -d -e ranger"

Ce qui veut dire que r foo TAB actionnera fasd, qui ira chercher un répertoire (-d) que nous avons déjà visité avec un cd normal et qui contient "foo" dans son nom, et qui lancera ranger.

Ranger fut un choc, un séisme ! Je quitte même Emacs pour lui, c'est dire !


Pour aujourd'hui, voici un extrait du livre de Ismahane Chouder, Malika Latrèche et Pierre Tevanian, paru aux éditions La Fabrique en 2008. Le témoignage suivante est disponible en format latex et pdf.

Moi je vous propose un témoignage, que je trouve particulièrement riche. On se rend compte de la discrimination que ces filles ont subi par divers menus acteurs (proviseurs, profs, infirmières, assistantes de CDI, élèves (qui des fois les ont aussi bien soutenues), parents d'élèves, …) et les entendre nous fait voir l'autre côté, le côté des concernées, qu'on n'a pas franchement l'habitude d'entendre. Ceci n'est qu'un témoignage, et la force du livre est vraiment d'en avoir plusieurs, divers (44 témoignages sur 330 pages). Assez pour nous faire revoir nos idées reçues.

Vous pouvez lire une bonne présentation des auteur-es: http://lmsi.net/Les-filles-voilees-parlent,732

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En enlevant ton foulard, tu entres dans la normalité. Mais qu'est-ce que «la normalité» ?

Jihene (pseudonyme), 24 ans (Île-et-Vilaine)

Née en 1983 en Tunisie, Jihene est arrivée en France avec sa mère à l'âge de deux mois. Elle a grandi dans une grande ville d'Île-et-Vilaine, où elle réside toujours, avec son père maçon, sa mère assistante maternelle, son frère et sa sœur. Elle a passé son bac en juillet 2006, puis suivi des cours de langue à l'université, avant de commencer, en septembre 2007, une formation de préparatrice en pharmacie.

J'ai commencé à porter le voile à l'âge de 10 ans environ, juste avant ma rentrée au collège. Au départ, je l'enlevais au collège: mes parents ne voulaient pas que j'aie des problèmes. Puis ils ont vu que je tenais bon, donc ils m'ont laissée le porter. Ma mère m'a toujours dit que l'essentiel était que je ne sois pas malheureuse, quel que soit mon choix. C'est seulement en quatrième que j'ai commencé à vouloir au moins garder un bandana. Il est passé inaperçu: personne n'y voyait quelque chose de religieux. Au lycée, j'ai voulu porter mon voile, car j'ai vu qu'on laissait d'autres filles le porter. Lorsque j'ai demandé la permission au proviseur, il m'a posé un ultimatum: soit j'enlevais mon voile pour entrer dans la section anglo-américaine, où j'avais été acceptée, soit je le gardais mais je n'entrais pas dans la section ! Il s'est justifié en m'expliquant qu'à cause de 11 septembre, les élèves américains de la classe risquaient d'être choqués par mon voile !

J'ai réfléchi, et après une longue discussion avec le proviseur, j'ai pu garder un bandana comme au collège. Je pouvais le garder en cours, en mettant une petite écharpe autour de mon cou. Arrivée en première S, j'avais beaucoup plus de travail et j'ai donc quitté la section anglo-américaine. On avait un nouveau proviseur, je lui ai demandé de garder mon voile vue que j'avais quitté la section, mais il a refusé. Et donc, avec deux autres élèves voilées, nous sommes allées voir le recteur pour obtenir enfin le droit de porter le voile.

Quand j'ai fait ma rentrée en terminale, la nouvelle loi était en vigueur. J'ai beaucoup parlé avec le proviseur pour essayer de garder quelque chose sur les cheveux, mais il ne voulait rien entendre. À la fin, il m'a proposé de garder mon bandana dans les couloirs, mais pas en classe, j'ai accepté en me disant que c'était ma dernière année. Le premier jour s'est bien passé, mais le deuxième jour, mon prof de mathématiques m'a virée parce qu'il voulait que je l'enlève avant le seuil de la porte. Il m'a fait sortir d'une façon humiliante, en me criant dessus: «Dégage!» Pendant toute l'année, il ne m'a jamais appelée par mon prénom: il m'a toujours appelée «Mansour». Quand j'allais voir le proviseur en lui disant que ce n'était pas une manière de traiter une élève, il me répondait simplement en disant que le professeur était le maître de sa classe.

J'ai demandé à changer de classe, mais il était trop tard. Je suis allée parler à l'infirmière, pour lui dire que je me sentais mal, que j'en pleurais, y compris le soir, chez moi. Je lui ai dit que je me sentais humiliée, et que je pensais vraiment à arrêter les cours. Je ne me sentais pas capable de travailler en toute sérénité dans ces conditions. L'infirmière m'a laissée parler, puis la seule chose qu'elle a su me dire, c'est que mon bandana «posait problème», parque qu'il restait «très significatif» ! Elle m'a demandé de trouver un foulard en coton, «qui ne fasse pas oriental»! J'ai donc dû faire les magasins pour trouver un foulard qui fasse «tout sauf oriental» ! (rires) Le lundi, j'ai donc mis un foulard bleu ciel «latino-américain», et cela a plu à tout le monde. Mais toujours pas question de le porter en classe.

On a aussi voulu m'interdire l'accès au CDI (centre de documentation et d'information) à cause de mon bandana, sous prétexte que les documentalistes sont considérées comme des enseignantes. Le même problème s'est posé en sport. À chaque fois, j'ai dû parlementer pour être acceptée, changer de foulard, et même laisser dépasser quelques cheveux. Un jour, je suis allée dans le bureau de la vie scolaire pour faire signer un papier, et le CPE a exigé que j'enlève mon foulard avant d'entrer, parce que son bureau était «sacré» !

Lors de ma convocation en «vie de classe», mon professeur principal m'a demandé comment je m'«adaptais» à ma nouvelle situation. Je lui ai expliqué ce que je ressentais. Il m'a répondu: «Oui, mais il faut savoir qu'en enlevant ton foulard, tu rentres dans la normalité»… Qu'est-ce que cela signifie ? Qu'est-ce que la «normalité» ? Dans ma classe, il y avait des élèves qui avaient des dreadlocks: ça, apparemment, c'était «normal», mais pas mon foulard.

J'ai vécu ce genre de problème pendant les trois premiers mois, en me faisant virer à chaque fois en maths. Avec l'aides des infirmières, j'ai réussi à me faire accepter, mais une fois en cours, quand je levais la main pour poser une question, le prof faisait exprès de ne pas me voir. Comme j'avais en plus accumulé du retard en étant virée plusieurs fois, je ne comprenais plus rien. J'ai donc fini par ne plus aller en maths. La même chose s'est passée en science physiques: le professeur m'ignorait quand je posais des questions donc j'ai lâché aussi le cours de physique, et j'ai essayé de travailler seule chez moi.

Je n'ai donc continué à aller qu'à quelques matières. J'en ai parlé au proviseur, mais il s'en fichait. J'ai fini par recevoir un avertissement pour absences au mois d'avril. Ce qui m'a choqué, c'est qu'il y avait un élève vraiment perturbateur, qui insultait carrément les profs, et qui n'a rien eu, même pas une heure de colle. Et moi, je me retrouvais avec un avertissement… Je suis allée voir le proviseur, qui m'a dit de m'estimer heureuse car mon professeur principal avait carrément demandé un conseil de discipline pour m'exclure définitivement. J'ai réalisé que ce prof était vraiment hypocrite: en face il me disait toujours qu'il voulait que je réussisse et dans mon dos il essayait de me virer !

Je me suis vraiment sentie seule. Il y avait juste une élève, une Américaine, qui m'avait vue pleurer et qui me comprenait. Les autres s'en foutaient complètement. Ils me disaient «Qu'est-ce ça peut te faire, d'enlever ton voile ? Après tout, tu es beaucoup plus belle sans.» Ou bien: «Ça soumet la femme au mari.» Ils ne voyaient pas ma souffrance. J'ai compris que je ne devais compter que sur moi.

À la fin de l'année, j'ai reçu mon livret scolaire. Dans les matières littéraires, les profs disaient que j'avais des progrès à faire, alors que j'avais des moyennes excellentes. Et le professeur de mathématiques avait écrit: «Ne se présente plus en cours depuis le début du deuxième trimestre», alors que c'était lui qui m'avait virée dès le début de l'année. J'ai passé mon bac, je suis allée à l'oral de rattrapage, et je l'ai raté à quelques points. Quelques points que le jury m'aurait rajoutés en regardant mon livret si les profs n'avaient pas mis toutes ces remarques.

À la rentrée suivante, j'ai essayé de m'inscrire dans d'autres établissements, hors de Rennes, mais aucun n'avait de place pour moi. Je suis donc retournée dans le même lycée, mais heureusement, j'ai eu de nouveaux professeurs, et notamment un prof principal très gentil, qui m'a manifesté de la sympathie. Il comprenait que la loi ait pu me faire souffrir. Je lui ai montrée mon livret scolaire, et il m'a dit: «C'est vraiment méchant de la part des collègues, c'est à cause de ces remarques que le jury de bac ne t'a pas rattrapée».

Je n'ai pas vécu les mêmes problèmes pendant ma deuxième terminale. C'était toujours aussi dur de retirer mon voile au portail du lycée, mais j'ai quand même pu travailler plus tranquillement, car j'ai été considérée un peu plus comme une élève, et un peu moins comme une extraterrestre. J'ai tout de même eu une professeur de philosophie qui me détestait. Je me souviens qu'au début de l'année, on parlait du livre de Jean-Jacques Rousseau, Le Contrat social, et elle m'avait dit, en me fixant du regard: «Si on n'aime pas les lois d'un pays, il faut aller vivre dans un pays qui nous convient mieux !» Pendant toute l'année, elle m'a lancé quelques allusions de ce genre.

À la fin de l'année, les profs ont mis dans mon livret la mention: «Doit faire ses preuves à l'examen», comme l'année précédente, ce qui m'a paru injuste car mes notes étaient nettement meilleures, et parce que d'autres élèves, qui avaient des résultats moins bons que les miens, ont eu un «avis favorable» ou «assez favorable». Je me suis sentie vraiment blessée, et je me suis dit que j'allais effectivement faire mes preuves ! J'allais prouver à ces profs que je pourrais avoir mon bac sans leur appui. Et j'ai réussi ! J'ai eu le bac du premier coup, et je vais enfin pouvoir entrer à l'université, où je pourrai porter mon voile en toute liberté. À plus long terme, je n'ai pas encore de projet bien précis. Étant donné ce climat de rejet autour du voile, je me demande si j'arriverai à trouver du travail. Je préfère laisser la question en suspens: je fait mes études d'abord, et je verrais ensuite.

Pendant ces deux années, ma mère m'a beaucoup soutenue. C'est elle qui m'a incitée à refaire une deuxième année de terminale: elle me disait que le CNED n'était pas la meilleure solution. J'ai eu la chance aussi d'avoir les «sœurs» de l'association des femmes musulmanes, qui m'ont toujours soutenue. Elle me comprenaient et elles trouvaient les mots qui me réconfortaient, parce qu'elle sont de la même génération que moi, et qu'elles ont vécu comme moi l'avant et l'après de la loi. Quand j'ai raté mon bac, elles étaient vraiment là pour me convaincre de refaire une terminale. Sans elles, j'aurais tout laissé tomber dès le début de ma première terminale.

Pour moi, cette loi est une loi raciste. Ceux qui la défendent disent qu'elle a pour but de libérer les femmes qui sont contraintes de porter le voile, alors que ces cas ne représentent qu'une minorité. Et puis ce n'est pas logique, parce que si une fille est contrainte par ses parents, il faut justement lui donner le privilège d'aller en cours, d'avoir son bac, de réussir ses études, pour pouvoir devenir indépendante et vraiment l'enlever si elle en a envie. Et les filles qui ont voulu le garder et qui ont été exclues, que deviennent-elles ? On leur bloque l'accès à l'éducation, elles vont se marier tout de suite et rester dépendantes de leurs maris ! Alors que nous, les femmes, si nous voulons aller à l'école, c'est justement pour remettre en cause ces modèles-là, pour ne pas dépendre d'un mari. Une «sœur» qui a la possibilité d'aller à l'école, elle va repousser le moment du mariage, elle va d'abord s'ancrer dans la société, se construire sa propre vision des choses, et le jour où elle sera en face de son mari, elle aura un potentiel, elle pourra lui répondre, elle saura le contredire. Bref, elle sera une femme libre. Ceux qui ont voté cette loi croient nous libérer: ils sont en fait en train de détruire nos vies.

Je remarque aussi que les jeunes voilées sont pour la plupart des Arabes. Et pour moi, cette loi est une manière cachée de s'en prendre aux Arabes. C'est très grave car ma vie est ici, j'ai grandi ici, et je me sens française. On m'interdit d'étudier et de travailler dans mon propre pays. Tout le tapage médiatique autour du voile, en 2004, a même changé le regard des gens dans la rue. Encore récemment, quand j'ai pris le bus pour aller chercher le résultat du bac, un vieux monsieur qui était avec sa femme m'a regardée en s'exclamant, à voix haute: «C'est quoi, ça ?» Je lui ai répondu: «Bonjour Monsieur !» (rires) Certains me regardent avec mépris, comme si j'étais une extraterrestre.

On se sent vraiment exclues, à part. Comme un objet dangereux dont il ne faudrait pas s'approcher. Un jour, au magasin Champion, un homme d'une cinquantaine d'années m'a fait un véritable interrogatoire: «Vous êtes étudiante ? Vous êtes mariée ? Vous êtes étrangère ? » Je lui ai répondu: «Laissez-moi tranquille, vous n'êtes pas policier !», et il s'est énervé: «De tout façon, vous les Arabes, vous êtes tous les mêmes !» C'était vraiment violent. Je me suis dit: «Est-ce que c'est vraiment mon pays ? Est-ce que j'ai vraiment ma place ici ? Est-ce que j'ai une place quelque part sur terre ?» Parce que même dans mon pays d'origine, ce n'est pas non plus le paradis.

Si je devais adresser un message à la société française, je lui demanderais de se regarder en face, telle qu'elle est aujourd'hui, avec tous ceux qui la composent. La France, ce n'est pas seulement des Français tout blancs, «de pure souche». Et même les Français «de pure souche», il y en a parmi eux qui se convertissent à l'islam. Si ça se trouve, dans dix ans, le fils du président sera converti ! J'aimerais en tout cas que les choses changent dans les années qui viennent, et pour commencer, que cette loi soit abrogée, pour que les «sœurs» qui sont encore au collège ne vivent pas ce que j'ai vécu. Parce que ce sont des déprimes, des nuits à pleurer. On ne peut pas étudier sereinement dans ces conditions. On ne peut tout simplement pas vivre comme ça, surtout quand on est si jeune.

J'aimerais plutôt qu'on nous laisse notre place, qu'on nous regarde telles que nous sommes, et pas en fonction de cette chose que nous avons sur la tête. Ce n'est pas ce foulard qui change tout notre être: notre esprit et notre personnalité restent les mêmes. Si je vais à l'école, c'est pour apprendre, pas pour montrer mon foulard. Je mets un foulard, une autre fille met un pull rose: c'est exactement pareil. Je veux qu'on me regarde telle que je suis, je veux qu'on m'embauche pour mes compétences professionnelles, sans «bloquer» sur mon foulard. Je veux tout simplement, même si ça me paraît utopique, qu'on prenne au sérieux ces trois mots: liberté, égalité, fraternité. C'est tout !

Propos receuillis par Zahra Ali à Paris, le 10 juillet 2006.

Site de l'éditeur: http://www.lafabrique.fr/catalogue.php?idArt=274


Tutanota est un nouvel acteur post-révélations Edward Snowden. C'est un fournisseur de mail dont l'accent est mis sur la sécurité: les mails sont cryptés dès l'envoi depuis le navigateur. Sur leur serveurs (en Allemagne, ils sont allemands), tout est crypté sauf quelques métadonnées. Donc la NSA n'est pas censée pouvoir lire nos communications. Dans la pratique, leur interface est facile à utiliser et cela ne demande aucune connaissance particulière à l’utilisateur. La seule différence est que lorsqu’on envoie un email à un contact qui n’utilise pas Tutanota, il faut choisir si on crypte le message. Si on le crypte, alors il faut choisir un mot de passe que l’on devra envoyer par un autre moyen à notre contact, sinon il ne peut pas lire le mail. Si on ne le crypte pas, rien de spécial.

Leur application est un logiciel libre, donc que chacun peut installer chez soi [update: la partie infrastructure n'est pas publiée, c'est donc très dur de l'installer], dont les sources sont visibles sur Github. C'est un moyen d'augmenter la sécurité de l'application, car elle être revue par leurs pairs (et elle l'est, comme par des chercheurs en sécurité qui ont déjà reporté une ou deux failles).

Ce qui est bon, c'est que les comptes sont gratuits pour 1 Go de stockage.

Ce qui est moins bon, c'est qu'étant un service jeune (ils ont démarré en 2013), peu de fonctionnalités sont disponibles dans l’interface web (pas de filtres de messages, pas de recherche), et pour des raisons de sécurité, on ne peut pas utiliser Tutanota en IMAP (avec Thunderbird).

Dans le même genre bientôt arrivera ProtonMail.