par Howard Zinn, tiré du catalogue 2015 des éditions Agone.

Dans ce monde effroyable où les efforts des gens altruistes apparaissent souvent ridicules en comparaison des méfaits des puissants, comment se fait-il que je continue à m’engager et à avoir l’air heureux ?

J’ai absolument confiance dans le fait, non pas que le monde va s’améliorer, mais qu’il ne faut pas abandonner la partie avant d’avoir joué toutes ses cartes. La métaphore est intentionnelle : la vie est un jeu de hasard. Ne pas jouer, c’est renoncer à toutes ses chances de gagner. Jouer, agir, c’est se donner au moins une chance de changer le monde.

On a tendance à penser que ce qu’on a devant les yeux est voué à perdurer. C’est oublier qu’on a souvent été surpris par le soudain effondrement d’institutions, par des changements de mentalité fulgurants, par des soulèvements inopinés contres des tyrannies, par le brusque anéantissement de systèmes de pouvoir qui semblaient invincibles.

On ne devrait jamais abandonner la lutte pour la justice à cause de la puissance apparemment indéfectible de ceux qui détiennent les armes et l'argent -et qui semblent bien déterminés à les garder. Cette puissance apparente s'est maintes fois révélée vulnérable à des qualités humaines moins tangibles que les bombes et les dollars: ferveur morale, détermination, unité, organisation, sacrifice, esprit, ingénuité, courage, patience…

J'ai bien essayé de regarder le monde avec autant de pessimisme que mes amis (et pas seulement eux !), mais je ne cesse de rencontrer des gens qui, malgré tous les évènements atroces qui se déroulent un peu partout, me donnent de l'espoir. Partout où je vais, je rencontre de telles personnes. Et au-delà du noyau dur de militants il semble y avoir des centaines, des milliers de gens ouverts à des idées différentes. Mais souvent, ils ignorent qu'ils ne sont pas seuls, de sorte que, quand ils persistent, c'est avec la patience désespérée de Sisyphe poussant éternellement son rocher en haut de la montagne. J'essaie de dire à chaque groupe qu'il n'est pas seul, et que ceux qui se sentent abattus par l'absence d'un véritable mouvement national sont eux-mêmes la preuve qu'un tel mouvement est possible.

Le changement révolutionnaire n’est pas un surgissement cataclysmique mais une succession interminables de surprises cheminant en zig-zag vers une société plus décente. Il n’est pas nécessaire de mener des actions grandioses et héroïques pour participer au processus de changement. Des actions modestes, multipliées par des millions d’individus, peuvent changer le monde. Même quand nous ne «gagnons» pas, il y a le plaisir et la satisfaction d'avoir participé, avec d'autres gens de bien, à quelque chose de valable. Nous avons besoin d'espoir.

Un optimiste n'est pas nécessairement un joyeux drille sifflotant bêtement au milieu du chaos. Garder l'espoir quand ça va mal n'est pas faire preuve de romantisme aveugle. C'est miser sur le fait que l'histoire humaine est l'histoire, non seulement de la cruauté, mais aussi de la compassion, du sacrifice, du courage, de la bonté.

Ce que nous choisissons de faire ressortir de cette histoire complexe va décider de nos vies. Ne voir que le pire, c'est détruire notre capacité à faire quoi que ce soit. se rappeler ces moments -et il y en a tant- où les gens se sont comportés de façon magnifique, voilà qui nous donne l'énergie pour agir, et pour au moins essayer de faire tourbillonner ce monde dans une direction un peu différente.

Dans la mesure où nous agisson, même en faisant des choses minuscules, nous n’avons plus à attendre la grande utopie à venir. L’avenir est une succession infinie de présents, et vivre maintenant comme devraient vivre les êtres humains, au mépris de ce qu’il y a d’hostile autour de nous, est en soi une victoire merveilleuse.

Howard Zinn

(extrait de "the Optimism of Uncertainty", The Nation, 20/10/2014, with the permission of the Estate of Howard Zinn.)