Des barrages sans retenue
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Article paru dans le Canard Enchaîné du 30 décembre 2014.
Par "Pr C."
Maître d'œuvre du barrage de Sivens, la Compagnie d'aménagement des coteaux de Gascogne a un joyeux catalogue.
Le fiasco du barrage de Sivens n'arrête pas la CACG. La Compagnie d'aménagement des coteaux de Gascogne peut bien traîner une réputation de bâtisseur de barrages à problèmes, celui de Sivens n'est ni le premier ni le dernier. Depuis sa création, en 1959, à Tarbes (Hautes-Pyrénées), cette société d'économie mixte de 200 personnes a construit une centaine de barrages dans tout le Sud-Ouest, essentiellement pour abreuver les cultures de maïs de ses 10 000 clients agriculteurs. Et, rien qu'en Midi-Pyrénées, elle a au moins dix projets de barrage… «Notre métier, c'est la gestion de l'eau. Attention, on ne la vend pas que pour l'irrigation, même si c'est vrai que l'irrigation, pour nous, c'est quand même important», explique André Romana, délégué syndical CGT, lequel a accepté de répondre au «Canard», contrairement à sa direction qui, très professionnellement, fait barrage… Fort lucrative, en effet, l'irrigation ! Une fois le barrage terminé, la Compagnie signe avec les agriculteurs des contrats par lesquels ils s'engagent à lui acheter son eau pendant une ou plusieurs années. Elle leur vend aussi tout le matos nécessaire: compteurs d'eau, stations de pompage, conduites, systèmes d'arrosage, avec les logiciels pour les contrôler à distance, etc. Pas donné: comptez 2640euros par hectare pour un système d'arrosage aérien…
1 Sans appel d'offres
Dans le Gers, la Compagnie se réjouit de la fin des travaux de construction du barrage de la Barne (1 million de mètres cubes, soit les deux tiers de Sivens), qui a pompé 2.7 millions d'euros d'argent public, mais les écolos promettent des jours moins fastes. «Pour la Barne, on n'a pas été entendus, râle Sylviane Baudois, secrétaire de l'association Bien vivre dans le Gers. On veut aussi demander à l'État de revoir tout le processus décisionnaire de ces ouvrages et d'en finir avec les conflits d'intérêts.» Comme dans le Tarn, on retrouve en effet dans le Gers le bon vieux mélange des genres qui fait le charme de la CACG: après avoir mené des études justifiant l'édification de ce réservoir, elle a empoché le marché de sa construction sans répondre au moindre appel d'offres. Le président de la CACG, Francis Daguzan, est par ailleurs vice-président du conseil général du Gers, ce qui facilite les affaires. Quant au vice-président de la Compagnie, Henri-Bernard Cartier, c'est lui qui préside la chambre d'agriculteurs du Gers. Ça facilite aussi. Dans les Hautes-Pyrénées, la Compagnie s'apprête à faire passer en force le barrage de l'Ousse, un gros réservoir de 5 millions de mètres cubes (plus de trois fois Sivens), qui va siphonner 12,5 millions d'euros, toujours d'argent public. Un projet vieux de 20 ans «abandonné une première fois en 1999, à la suite d'une note du Conseil d'État, qui a épinglé le fait que la CACG soit maître d'œuvre et gestionnaire de ce barrage», se souvient Michel Geoffre, responsable de France Nature Environnement 65. Sauf que, depuis 2008, le projet est remonté à la surface. «Tous ceux qui sont impacés par ce barrage sont vent debout, tempête Yannick Boubée, maire PS d'Aureilhan. Conseillers municipaux, populations de deux villages, et même le député et conseiller général Jean Glavany, personne n'en veut.» En effet, si ce barrage voit le jour, adieu, veaux, vaches, moutons et cochons élevés ici par une vingtaine d'agriculteurs, et adieu aux 100 hectares de terres cultivées qui se retrouveront sous l'eau. Pour bloquer le projet, tous ces grincheux sont en train de monter une zone agricole protégée, qu'ils veulent faire reconnaître d'utilité publique. La CACG pourra toujours se consoler avec les deux autres projets dans ce département, celui le Louet 2 et de la Géline, 5 millions de mètres cubes chacun… Dans le Tarn, en revanche, elle a quelques problèmes de service après-vente. Le barrage de Fourogues est carrément illégal car, en 1997, la CACG c'est assise sur les décisions de justice qui lui demandaient d'arrêter les travaux. En plus, il est déficitaire et mal conçu. «Les désordres affectant le système d'évacuation des crues sont tels que l'ouvrage ne paraît pas remplir les conditions de sûreté suffisantes», s'énervait la préfecture du Tarn, le 11 août. Aujourd'hui, le système d'évacuation des crues, sorte de canal qui court aux abords du barrage, ne tient bon que grâce à une vingtaine d'étais de maçon…
2 «Une roche pleine de trous»
En Ariège, le réservoir du col del Four (330 000 m³) n'a pas ce genre de problème. L'ouvrage, qui a englouti 1,7 million d'euros d'argent public, ne retient pas, douze ans après sa construction, la moindre goutte d'eau ! Pour édifier la digue en terre de 10 mètre de hauteur qui surplombe ce qui devrait être une retenue de 270 mètres de longueur, il avait fallu détruire une zone humide. Une fois le terrain décapé, son remplissage devait couler de source, grâce aux ruisseaux des alentours, à l'eau de pluie et à celle de la fonte des neiges. Seulement voilà, «quand ils ont fait les travaux, ils sont tombés sur un karst calcaire, autrement dit une roche pleine de trous comme du gruyère qui ne retient pas l'eau et qui ne la retiendra jamais», explique Henri Delrieu, porte-parole de l'association Le Chabot, pour la protection des rivières ariégeoises. Mais, là encore, ce genre de succès n'a pas barré la route aux rois du barrage.