Fut un temps, les éditions Agone disponibilisaient certaines de leur revue en libre consultation sur leur site. C'est de la revue n°34, Domestiquer les masses, que je tire ce texte de Benoît Eugêne, disponible comme toujours en trois formats (pdf classique, brochure, brochure avec une page sur deux retournée).

Bonne lecture ! Ci-dessous quelques extraits.

C’est en 1980, dans un rapport commun du Programme des Nations unies pour l’environnement et du World Wildlife Fund, qu’apparaît pour la première fois la notion de « développement durable ». Elle est ensuite mise en avant dans le rapport dit « Brundtland », du nom de la Première ministre norvégienne présidant la commission des Nations unies pour l’environnement et le développe- ment. En voici la définition : « Un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs. »

Il n’existe pas de définition beaucoup plus précise du « développement durable ». Sa signification dépend donc des rapports de force sociaux entre différents groupes d’intérêts qui défendent sous ce nom des objec- tifs qui sont, on va le voir, en grande partie contradictoires. Ceux-ci sont en effet officiellement de trois types : maintenir l’intégrité de l’environnement, améliorer l’équité sociale, améliorer l’efficacité économique. Selon les agents sociaux concernés, défenseurs de l’environnement, industriels ou États (plus ou moins industrialisés), le « développement durable » recouvrira donc des priorités tout à fait différentes, sans pour autant que la significa- tion qui s’est imposée dans le sens commun – synonyme de respect de l’environnement et devenue un instrument de marketing politique et commercial – en soit affectée.

Les industriels ont résumé à leur façon ces trois objectifs : les « 3 P », c’est- à-dire les « trois pôles interdépendants du développement durable de l’hu- manité : équité sociale (People), préservation de l’environnement (Planet), efficacité économique (Profit) ». La Commission européenne proclame quant à elle que « le développe- ment durable laisse entrevoir à l’Union européenne l’image concrète [sic], à long terme, d’une société plus prospère et plus juste, garante d’un envi- ronnement plus propre, plus sûr, plus sain, et offrant une meilleure qua- lité de vie à nous-mêmes, à nos enfants et à nos petits-enfants. Pour réaliser ces objectifs, il faut une croissance économique qui favorise le progrès social et respecte l’environnement, une politique sociale qui stimule l’éco- nomie et une politique de l’environnement qui soit à la fois efficace et éco- nomique 2 ». On voit clairement, dans la dernière partie de la phrase, que la politique de l’environnement est soumise aux objectifs économiques – une déclaration qui correspond d’ailleurs au rapport de force entre la DG Environnement et les DG Marché unique et Commerce de la Commission.

[…]

Dans cette optique, déréglementer l’activité des entreprises et flexibili- ser le marché du travail aurait la vertu de permettre aux entreprises d’in- vestir plus de profits dans la recherche de technologies « propres » (« éco-industries ») et donc de protéger l’environnement et aussi d’aug- menter le « bien-être » social 4. Le corollaire est qu’on ne saurait ni impo- ser de réglementations environnementales à l’industrie ni limiter sa capacité de développement pour sauvegarder la planète. C’est ce que certains appel- lent aussi la « croissance verte », vertigineux renversement de perspective si l’on se souvient que le Programme des Nations unies pour l’environne- ment entendait répondre aux analyses du club de Rome qui prônait alors la croissance zéro.

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